Thèse de Doctorat en Information et Communication

Université de TOULON, laboratoire i3M 

Résumé de la thèse en 6000 signes :

Approches esthétique, médiatique, et sémantique du design interactif

L’interface graphique de l’application numérique, soumise à l’injonction du geste de l’utilisateur, prolonge le corps de celui-ci. Quel rapport s’établit entre l’image qui émerge et celui qui la convoque ? Que reste-t-il du message du concepteur construit par un métarécit singulier ? La diversité de chaque exploration favorise-t-elle une interprétation individuelle ? Alors que l’image, fixe ou animée, était jusqu’alors le fruit d’un auteur, qu’advient-il de l’aura de celui-ci lorsque l’utilisateur fait advenir l’image à son gré ?

Le design interactif est au coeur de notre analyse. Il n’est pas appréhendé ici selon la seule voie réductionniste de l’ergonomie. L’approche selon les axes esthétique et sémantique complète l’analyse de la médiation de l’objet « design interactif » en tant qu’opérateur de contact entre le concepteur du message visuel et celui qui le co-produit lors de sa consultation singulière. Ce parcours individualisé, favorisé par le dispositif nucléaire de l’ordinateur personnel et l’apparente liberté de la navigation interactive, retient notre attention. En réponse à ces intuitions premières, nous émettons l’hypothèse que l’interactivité génère un métarécit singulier et fait du design interactif un système favorisant la contingence des interprétations. Le message reçu à partir de ce corps graphique mouvant (en coproduction) est une construction individuelle. Les recherches en sémiopragmatique nous contraignent à modérer cette position, considérant notre structure perceptive commune (Groupe μ), le système cognitif des modèles mentaux (Darras), et l’influence culturelle (Boutaud, Peraya).

Notre problématique porte sur la tension du concept de design entre sa stratégie de communication et la contingence de son émergence liée au métarécit de l’utilisateur en liberté surveillée. Le champ théorique des nouveaux médias souligne le rôle de l’interactivité dans ce paradigme de l’image manipulable. La délégation d’énonciation (Mabillot), le métarécit (Barboza), la praxis hypermédia (Dall’Armellina), font de l’image interactive un acte imagé, du spectateur un spect-acteur (Weissberg). Ces notions déplacent ainsi le point de vue de l’image comme corps révélé (Renucci) inhérente à la posture de l’utilisateur.

Les fondements épistémologiques (Husserl, Ricoeur), philosophiques (Merleau- Ponty, Bougnoux), méthodologiques et sémiologiques (Peirce, Boutaud, Darras) guident la démarche de cette recherche selon une approche sensible du phénomène étudié. La délégation d’énonciation liée à l’interactivité du design manipulable engage des modifications du rapport à l’objet-image dans ses approches esthétiques, médiatiques et, de fait, sémantiques. La posture de coproduction modifie le paradigme de l’image d’auteur donnée à voir.

Nous guidons notre analyse selon trois axes qui se développent dans la première partie de cette recherche : celui du design tout d’abord, qui nécessite dans préciser les contours, ensuite celui de l’individualisation, qui souligne la dimension sensible qu’apporte l’interactivité du design au moyen d’une délégation d’énonciation envers l’utilisateur, et enfin celui du récit, qui organise le lien narratif entre le message iconique et l’utilisateur. En premier lieu, nous développons une approche abductive (approche par prémisses intuitives) au moyen d’une étude des productions de la webagency londonienne Hi-ReS! (1) autour de la question de la posture de l’utilisateur et de la délégation d’énonciation consentie par le concepteur.

Ensuite, les trois variables que nous retenons (esthétique, médiatique, sémantique), font l’objet d’une étude de cas, dans la deuxième partie, afin de relever une série de données qualitatives par une approche inductive au moyen de l’analyse d’un cas générique et de l’observation d’un panel de répondants. L’étude du cas Communicate (Hi-ReS!, 2004) rend compte des intentions du concepteur et permet d’évaluer la tension entre le message polysémique voulu et le message monosémique reçu.

Enfin, l’approche hypothético-déductive (Giroux et Tremblay, 2009), rapportée en troisième partie, rend compte de l’expérimentation d’oculométrie mise en oeuvre, et exprime les données objectives au moyen de mesures. Cette expérimentation d’oculométrie a été mise en place afin d’évaluer la portée de l’interactivité sur l’attitude et le ressenti des utilisateurs. Ces données objectives sont enrichies d’un test de mémorisation qualitatif. Les résultats obtenus sont interprétés en regard de l’hypothèse de recherche, puis confrontés aux données abductives (issues de l’intuition du chercheur) et inductives (selon une démarche empirique au moyen d’observations et entretiens) recueillies précédemment.

Pour finir, les trois variables sont croisées afin de parvenir à circonscrire la notion de design interactif que nous modélisons sous la figure métaphorique du « dess@in ». Cette trace anecdotique formalise la tripartition de l’objet « design interactif » soulignée par notre recherche. Nous adoptons le néologisme de « design-eur » afin de souligner que le designer est à la fois un auteur et un acteur de la réalisation émergente : il participe en différé à la production émergée par le récit interactif de l’utilisateur. Dans un premier temps, le design-eur élabore un corps graphique mouvant contenant son dessein communicationnel qu’il propose à l’utilisateur sous une forme visuelle. Ce dessin est une somme non linéaire de possibles dont le design-eur ne peut jamais expérimenter une forme stable identique à celle issue du métarécit de l’utilisateur. Son design (dessein et dessin), mis en ligne, s’offre à la manipulation de l’utilisateur. Nous insistons par le « @ » sur la posture de la délégation d’énonciation consentie par l’auteur : elle constitue le paradigme du design interactif par effondrement de la coupure sémiotique (Bougnoux) entre les deux théâtres d’opérations. Enfin, le « in » de notre objet « dess@in » place résolument notre analyse selon le point de vue interne et sensible de l’utilisateur du design interactif, qui en est le coproducteur et donc co-responsable. Nous soulignons le glissement symbolique de la responsabilité qui engage l’interacteur dans une expérience sensible unique, et fait ainsi, du design interactif, une posture communicationnelle convaincante.

Cette recherche nous a menée vers le point d’échange entre le design-eur et l’utilisateur du design interactif. Nous avons relevé les intentions, interprétations, et actions de chacun des acteurs, dont l’analyse corrobore notre hypothèse principale selon laquelle l’interactivité du design génère une individualisation de sa consultation, perceptive, pragmatique, et culturelle. Mais si cette recherche corrobore l’hypothèse de l’individualisation de la consultation d’un design interactif, elle en marque également les limites. Il ne peut y avoir échange communicationnel que s’il y a partage d’un code, même partiel. Nos résultats nous ont amenée à évaluer le message persuasif du concepteur. Nous avons montré que, malgré une individualisation de la consultation, le design interactif porte le message induit par l’auteur. Ainsi, l’individualisation trouve une limite dans le champ de sémioses partagées.

(1) Handsome information – Radical entertainment Systems! 8-9 Rivington Place, London disponible sur http://archive.hi-res.net