Présentation

Colloque international

Julien Green et la formation de l’esprit

28 et 29 mai 2019 – Université de Toulon

Campus de La Garde

Le centenaire de l’arrivée de Julien Green à l’Université de Virginie invite à s’intéresser à l’aventure vécue par un jeune homme envoyé sur une terre pour lui ancestrale et lointaine à la fois, bien avant que ne se développent les échanges internationaux auxquels les étudiants sont de nos jours invités. Le récit autobiographique de cette expérience, dans Terre lointaine, a surtout retenu l’attention des commentateurs pour l’éveil qui s’y trouve relaté d’une grande passion amoureuse, obscure à elle-même ; on s’est moins penché sur la représentation qu’il donne des études universitaires, de leur contenu, de leur encadrement pédagogique, et plus largement de la formation d’un esprit que nourrissent non seulement l’enseignement des maîtres et la fréquentation des lieux d’étude, mais aussi les échanges entre camarades. 

            On pourrait examiner également, dans les autres volumes de l’Autobiographie, la formation intellectuelle, artistique et culturelle reçue en amont, dans les années de lycée et dans le cadre familial, moins pour en répertorier les contenus que pour observer la relation entre ces divers modes d’éveil à la vie de l’esprit. La question de la formation de l’esprit peut aussi s’articuler à celle de l’accompagnement des jeunes dans leur orientation professionnelle : sur ce point, les souvenirs de Green le montrent à un point de bascule entre la forme moderne de l’idée de vocation – qui valorise un choix de vie autonome, guidant l’individu vers son accomplissement dans une activité socialement productive – et de plus anciens modèles[1].

            Rien n’interdit non plus de voir se déployer cette formation sur le tracé de toute une vie : le Journal de Green laisse observer au jour le jour une activité qui enrichit au fil des ans la nourriture première reçue par l’intelligence et en renforce les facultés. On se gardera, sur ce point, de laisser les considérations s’évader dans un gigantesque propos sur la culture de l’écrivain, pour centrer l’attention sur les processus qui entretiennent la curiosité des choses de l’esprit et affûtent son aptitude critique. Pourra aussi être pris en considération le regard que Green porte sur les relais médiatiques de la formation des esprits.

            Enfin, on n’oubliera pas que Julien Green s’est fait lui aussi brièvement formateur, notamment par des cours ou conférences données dans quelques universités américaines[2] : par-delà le contenu de ses confidences sur sa propre activité créatrice, il serait intéressant d’analyser la posture qu’il adopte face à son public, la façon dont il entend éveiller et nourrir sa curiosité intellectuelle.

            Mais le pan romanesque de l’œuvre offre aussi de multiples représentations de la formation de l’esprit – ou de ses carences. Certains romans et nouvelles (Le Voyageur sur la terre, Moïra) prennent une université américaine pour cadre. D’autres élargissent l’horizon historique dans un passé lointain ainsi que l’éventail de représentants du personnel enseignant ; les figures de précepteurs et de professeurs seraient à observer ; la question de l’éducation des filles se pose.

            Bien des études désignent en ce début de xxie siècle un tournant culturel, où vacille en particulier l’aptitude actuelle de l’école à inculquer encore aux jeunes la conception savante de la lecture – celle qui fait d’elle un acte « vital », nourrissant et structurant l’individu, « révérenciel » à l’égard des grands auteurs et « sacralisé », en tant qu’activité valorisante[3]. La crise, avance-t-on[4], serait moins celle de la littérature, ou de la culture, que celle, féconde, de leur conception savante qui a longtemps prévalu et des études littéraires. L’œuvre de Green invite à une mise en perspective stimulante de ces interrogations. Sa propre formation, rappelons-le, remonte aux années d’une réforme scolaire qui a profondément modifié les programmes d’enseignement français, faisant reculer la part des humanités dites classiques ; à des années lourdes d’angoisses aussi sur le devenir de la vie de l’esprit – 1919 marque aussi le centenaire de la célèbre méditation de Valéry sur la mort des civilisations.

            Il serait donc fructueux de projeter sur l’œuvre de Julien Green l’éclairage de recherches en philosophie, sociologie, psychologie et histoire de l’éducation, qui pourront s’en nourrir en retour. Ce colloque pourrait être aussi l’occasion de la mettre en dialogue avec celles d’autres écrivains qui relatent ou projettent dans leurs romans leur propre expérience de formation universitaire.

Colloque organisé par les laboratoires Babel (Toulon) et CIRPALL (Angers) et par la SIEG (Société internationale d’études greeniennes)

[1] Voir Judith Schlanger, La Vocation, Paris, Hermann, coll. « Philosophie », 2010.

[2] Voir les « Conférences et discours » reproduits dans le tome III des Œuvres complètes  de Green, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973.

[3] Voir Christine Détrez, « Du côté des lecteurs et des pratiques de lecture », dans Où va le livre ?, dir. Jean-Yves Mollier, Paris, La Dispute, coll. « État des lieux », 2007, p.263-277.

[4] Voir Jean-Marie Schaeffer, Petite écologie des études littéraires. Pourquoi et comment étudier la littérature ?, Vincennes, Thierry Marchaisse, 2001.